par Oscar Comettant
dans Le Siècle du 6 janvier 1873
L’Opéra et l’Opéra-Comique répètent du nouveau, le petit théâtre de l’Athénée en donne.
Nous aurons, dit-on, la Coupe du roi de Thulé, la semaine prochaine, à notre Académie nationale de musique, et, à quelques jours d’intervalle, l’Opéra-Comique donnera la première représentation – à ce théâtre – de Roméo et Juliette, opéra de M. Gounod joué cent fois au Théâtre-Lyrique.
C’est fort bien, en vérité, et ce n’est pas tout.
Après cette reprise, dont le succès n’est pas douteux et qui fera de l’argent, – pour parler comme nos directeurs subventionnés, – viendront les vraies nouveautés. Elles arriveront avec cette majestueuse lenteur qui distingue l’administration de l’Opéra-Comique aussi bien que celle du grand Opéra, et quand les diminutions graduées dans les recettes de Roméo auront averti les directeurs de la salle Favart qu’ils doivent, par leur cahier des charges, jouer un certain nombre d’opéras inédits tous les ans et les bien jouer.
Heureux théâtres lyriques subventionnés, est-il sur la terre de sort plus fortuné que le vôtre ? Le budget de l’État vous fait un lit de roses d’or, sur lequel, malgré la dureté de ce métal, vous paraissez fort à l’aise et mollement couchés. Ah ! certes, ce n’est pas nous qui reprocherons au gouvernement les subventions votées aux théâtres lyriques dans l’intérêt de l’art et des artistes français. J’ai mûrement étudié la question des subventions théâtrales et je suis persuadé que, sans l’appui de l’État, l’Opéra tomberait bientôt dans la féerie, et l’Opéra-Comique plus bas encore, dans les Œil crevé et les Belle Hélène.
Autant, et plus que jamais à cette heure, il faut, dans la capitale de la France, des théâtres modèles pour combattre l’influence déplorable des farces débraillées en musique qui sont nées de la liberté des théâtres, comme les champignons vénéneux poussent après une pluie d’orage. Nous l’avons dit déjà et nous ne saurions trop le répéter, il faut craindre que le goût ne se perde, et il se perdrait fatalement, si, à côté des productions malsaines qui envahissent certains établissements publics, quelques nobles théâtres n’étaient là pour corriger les effets de ces turpitudes en offrant à la critique un aliment sérieux, et aux artistes véritablement dignes de ce nom une école du beau, avec l’occasion régulière de produire leurs ouvrages.
Les subventions sont donc votées pour suppléer à l’insuffisance des recettes et permettre, dans tous les cas, aux théâtres qui les reçoivent d’entretenir le meilleur orchestre possible, des chœurs nombreux et choisis, de prendre des engagements à l’année avec les premiers chanteurs, – les premières danseuses aussi, s’il s’agit de l’Opéra, – de ne rien épargner pour que les costumes et les décors soient à la hauteur du reste ; enfin et surtout pour favoriser la production des compositeurs français signalés par leur talent en exécutant chaque année un certain nombre déterminé d’opéras nouveaux, sans préjudice du répertoire courant formé de quelques excellents ouvrages, consacrés par l’admiration universelle, mais dont il ne faudrait pas abuser en les jouant au détriment des œuvres inédites. Les justes obligations imposées aux directeurs constituent leurs cahiers des charges ; mais ces contrats d’intérêt général sont restés jusqu’à ce jour des actes secrets, impénétrables au public, et plus mystérieux que les mystères d’Isis et d’Osiris, au temps des Pharaons. Non seulement le gouvernement ne les a jamais publiés, mais l’administration des beaux-arts s’est toujours refusée à les communiquer aux contribuables qui voulaient se renseigner sur l’emploi des deniers publics.
Je crois qu’on a toujours tort de ne pas mettre en lumière ce qu’on n’a pas intérêt à cacher. Si nous voulions être l’écho de toutes les malignités qui se sont produites pour expliquer cette réserve, imposée sans motif probablement et qui se maintient par la routine, nous aurions fort à dire. Il appartiendrait à M. Jules Simon, ministre de la République française, de mettre un terme à une mesure contraire aux principes d’un gouvernement libéral, contraire aux intérêts de l’art et à la morale. Dans l’une de ses dernières séances, le cercle de la littérature musicale, formé de la presque totalité des critiques musicaux parisiens, a longuement discuté sur cette nécessité. Pas une voix ne s’est élevée pour soutenir l’utilité, à un point de vue quelconque, du secret à garder entre le ministère et les directeurs, et les raisons les plus péremptoires, les plus irrésistibles, ont été présentées en faveur de la publicité. Chacun est resté bien convaincu que, si de nombreux coups de canifs ont été donnés dans les contrats passés entre les ministères et les théâtres subventionnés, c’est que l’éteignoir de l’administration gouvernementale a couvert ces invisibles cahiers des charges qui n’ont guère été jusqu’ici que des charges de cahiers. Que la lumière se fasse où régnaient les ténèbres et que nous sachions enfin ce que nous doivent les directeurs des théâtres subventionnés, puisque nous savons si bien ce qu’ils nous réclament et ce que nous leur payons.
J’ai sous les yeux un article de l’Entracte, dans lequel sont relevées les différentes pièces nouvelles jouées sur tous nos théâtres pendant l’année qui vient de s’écouler.
Le bilan de l’Opéra n’est pas long : ce théâtre n’a rien donné de nouveau.
Rien, c’est trop peu en vérité, et il y a des gens pour penser que si la subvention de 800,000 fr. accordée à notre Académie de musique ne devait pas avoir d’autre résultat, il faudrait la supprimer, et changer le titre de directeur de l’Académie nationale de musique en celui de conservateur des opéras à recettes de Meyerbeer, de Verdi, d’Halévy et de Donizetti.
L’Opéra-Comique s’est montré plus actif : il a fait, lui, quelque chose. Des reporters doués de la seconde vue et qui lisent à travers les corps opaques, assurent que le cahier des charges de l’Opéra-Comique impose à ses directeurs l’obligation de jouer vingt-quatre actes nouveaux par an. La direction qui, comme ce député de la Creuse, ne veut relever que de Dieu et de sa conscience, tout en tenant de l’État sa subvention et du ministre son cahier des charges, a réduit de sa propre autorité ce chiffre des deux tiers. L’Opéra-Comique a donné dans le courant de l’année 1872 : Fantasio, trois actes ; Djamileh, un acte ; la Princesse jaune, un acte ; Don César de Bazan, trois actes ; total, huit actes au lieu de vingt-quatre. Vingt-quatre actes à monter dans une année, c’était peut-être trop ; huit, ce n’est pas assez. Que les cahiers des charges soient donc à l’avenir discutés avec soin, qu’ils soient acceptés sans arrière-pensée et qu’on les publie : c’est le meilleur moyen, le seul peut-être d’en garantir l’exécution.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Lucia Pasini (6 janvier 1873). Revue musicale. Les fours noirs. Consulté le 19 juin 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/uq8v