par H. Moreno
dans Le Menéstrel du 11 mai 1873
Nos jeunes compositeurs seraient mal venus aujourd’hui de se plaindre que les portes leur soient fermées et qu’on ne leur donne pas l’occasion de se produire. L’année qui vient de s’écouler leur a été particulièrement favorable. Sans parler des concerts populaires de M. Pasdeloup, des concerts nationaux de l’Odéon et des concerts Danbé, où bon nombre d’entre eux ont pu faire leurs preuves symphoniques, nos théâtres, il faut le reconnaître, se sont montrés très hospitaliers à leur égard.
En cette heureuse année, l’Opéra a représenté la Coupe du roi de Thulé de M. Diaz, et tout dernièrement un ballet de M. Guiraud Gretna-Green, dont nous avoir à nous occuper.
A l’Opéra-Comique, nous avons vu défiler le Passant de Paladilhe, la Princesse jaune de Saint-Saëns, Djamileh de Bizet, Don César de Bazan de Massenet, et nous allons avoir cette semaine le nouvel opéra de Léo Delibes, sans compter les deux partitions couronnées de MM. Lenepveu et Philippot qui pointent à l’horizon.
L’Athénée a produit Madame Turlupin de Guiraud, déjà nommé, Polichinelle de M. Deléhelle, le Guzla de l’Emir de Dubois, et, dans un genre excentrique, la Dot mal placée de Lacome ; je passe à dessein sous silence une nuée de petites partitions sans importance.
Dans ce long défilé d’œuvres nouvelles de compositeurs nouveaux, on ne compte pas un succès bien vif, un succès d’argent ; mais beaucoup de ces partitions donnent pour l’avenir de grandes espérances.
C’est encore dans cette dernière catégorie qu’il faut ranger, croyons-nous, le ballet de M. Guiraud, représenté mercredi à l’Opéra. Le jeune auteur a mis un grand soin à fuir les banalités musicales, que trop souvent, avant ces dernières années, on semblait prendre plaisir à accumuler sous prétexte de ballet, et de cela il faut le louer sans réserve. Ce que nous lui reprocherons, c’est de ne pas s’abandonner suffisamment à l’inspiration ; voilà un reproche qu’on ne pouvait lui faire dans Madame Turlupin, où au contraire il ne s’est pas montré assez sévère envers lui-même en acceptant trop complaisamment des idées un peu vulgaires. Dans un ballet, cette facilité eût été moins à craindre, et c’est précisément là que M. Guiraud paraît avoir apporté une trop grande recherche, une prétention non justifiée. Il se noie dans des détails qui pourraient être charmants s’ils se rattachaient à une idée principale de valeur ; mais celle-ci semble toujours vouloir lui échapper.
Il y a dans tout un juste milieu, et nous ne pouvons mieux faire que de présenter comme modèle à M. Guiraud le délicieux ballet de son camarade Léo Delibes : Coppélia, dont le cadre, il est vrai, était plus important.
Nous n’en estimons pas moins pour cela le talent de M. Guiraud, mais nous l’attendons à une œuvre prochaine et plus complète. Madame Turlupin et Gretna Green ne sont que les premières étapes d’un compositeur bien doué, parfait musicien, mais encore hésitant et qui cherche sa voie.
Signalons à nos lecteurs une page très réussie de ce petit ballet, la jolie valse du Colin-Maillard, fragment symphonique d’une délicatesse exquise.
Le livret de MM. Nuitter et Mérante est peu compliqué, ainsi qu’il convient à un ballet, où tout doit être forcément d’une clarté presque enfantine. Un sujet de ballet ne se raconte pas. Nous passons donc outre, pour couvrir de fleurs la jolie Mlle Fiocre et l’étonnante Mlle Beaugrand, qui accomplit avec Mérante des exercices de voltige qui ne seraient pas déplacés au Cirque ; mais elle y apporte une grâce et une science qui ont dû ravir les maîtres critiques en matières chorégraphiques : ils vous diront ce qu’il faut penser du ballon, des pointes et du parcours de ces dames du corps de ballet, et cela avec un sérieux et une autorité qu’on ne leur contestera pas. Pour nous, qui nous déclarons incompétents, nous vous renvoyons, lecteurs, aux feuilletons de la danse.
Plusieurs engagements de cantatrices auraient été faits par M. Halanzier, et d’autres seraient en négociations. Soyons donc discrets.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Lucia Pasini (11 mai 1873). Semaine théâtrale. Les fours noirs. Consulté le 19 juin 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/uq9f