Revue musicale

Opéra-Comique – Quelques mots sur Don César de Bazan, opéra-comique en trois actes, de MM. d’Ennery, Dumanoir et Chantepie, musique de M. Massenet

par M. de Thémines

dans La Patrie du 2 décembre 1872

Plus avisés, les auteurs de Don César de Bazan ont taillé dans ce drame un livret d’opéra-comique, une espèce de scénario mi-partie prose et vers de leur ancienne pièce. Les librettistes italiens les avaient précédés dans cette besogne ; on sait que nos meilleures pièces finissent par là ; mais tous les livrets italiens ne viennent pas ici, – et y vinssent-ils ! …

Le livret de Don César de Bazan est habilement arrangé ; l’intérêt, à vrai dire, ne commence que vers la moitié de l’œuvre ; mais à partir de là, il va toujours en augmentant. Et la musique fait de même : un peu languissante au premier acte, elle s’attarde au deuxième ; puis elle s’éveille et va d’un seul trait jusqu’à la fin du quatrième acte, obligeant le succès à la suivre ; tant pis pour lui s’il est haletant !

Ce serait traiter un peu trop cavalièrement le jeune compositeur que de publier quelques heures après la première audition un jugement sur son œuvre. La représentation vient à peine de finir. Avec la meilleure volonté du monde, je ne pourrais donner qu’un bulletin de la soirée. Le temps et l’espace me manquent pour un compte-rendu détaillé, que je suis forcé de remettre à dimanche prochain.

Je me bornerai aujourd’hui à dire que l’auteur des Suites d’orchestre – si je ne me trompe, M. Massenet n’ayant encore rien donné à la scène – avait su, par ses travaux symphoniques, inspirer les plus vives sympathies aux amateurs de bonne musique. Travailleur infatigable, artiste consciencieux, dédaignant le succès quand il est escamoté par des moyens qui le rendraient éphémère, il s’est d’abord essayé par des œuvres instrumentales, puis il a tout de suite abordé l’opéra-comique. On sent que le jeune compositeur a caressé longuement son orchestration ; à ce point de vue-là surtout, on ne dirait jamais l’œuvre d’un débutant.

On a beaucoup applaudi et redemandé un solo de Mme Galli-Marié, Dors, ami ! sorte de berceuse, très délicate et d’un goût exquis ; le duo des hommes au second acte et le prélude du troisième, une page ravissante (on a même bissé ce dernier morceau) ; on a fait l’accueil le plus chaleureux à tout ce dernier acte. Mais qu’on se hâte de couper vite un chœur de juges venant prononcer une sentence de mort en mi bémol. On n’avait jamais entendu des condamnations en musique. Tant pis pour les belles robes de ces magistrats, mais il faut les faire disparaître.

On sentait comme un souffle de sympathie courir dans la salle ; on paraissait heureux de voir le succès se dessiner et s’accentuer. Je ne dis pas cela pour la claque, outrageusement augmentée hier et insolemment bruyante, mais pour le vrai public.

C’est donc dans ma prochaine Revue, dimanche, que je ferai l’analyse de la partition de M. Massenet, et vous dirai quelles sont les espérances qu’on nourrit sur l’avenir de ce compositeur, et sur quels éléments elles sont fondées. – Je ne veux pas cependant attendre huit jours pour dire que le nouvel opéra-comique est fort bien interprété par Mlle Priola, par MM. Lhérie et Bouhy, et surtout par Mme Galli-Mairé, qui a trouvé le moyen de faire du rôle épisodique de Lazarille le rôle le plus attrayant de l’ouvrage.


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Lucia Pasini (2 décembre 1872). Revue musicale. Les fours noirs. Consulté le 8 juillet 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/uq8f


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