Opéra : Gretna Green, ballet pantomime en un acte, de MM. Charles Nuitter et Louis Mérante, musique de M. E. Guiraud. – Mmes Beaugrand et Fiocre

par Gérôme

dans L’Univers illustré du 10 mai 1873

Que faut-il pour un joli ballet ?

Oh ! mon Dieu ! moins que rien : – un sujet aimable, attrayant, abondant en situations chorégraphiques, facile à comprendre et à traduire par la pantomime, une musique piquante, variée, d’une digestion facile, ni trop sourde ni trop sonore, des danses originales et bien dessinées, des masses et des groupes formant tableau, un corps de ballet jeune, agréable à voir, à la fois ardent et bien discipliné, des premiers sujets rompus à toutes les difficultés du métier, initiés à toutes les délicatesses de leur art charmant, enfin une prima ballerina assoluta, ayant autorité sur le public, une étoile assez éclatante pour éclairer jusqu’aux ténèbres, pour tout entraîner dans ses rayons lumineux, – tels sont les éléments, avec lesquels, pour peu que vous ayez affaire à une salle bonne enfant et bien disposée, vous pouvez espérer arriver à un succès.

Ces conditions, il s’en faut de bien peu que le nouveau ballet de l’Opéra ne les remplisse, ou pour mieux parler, il les remplit trop : son défaut, s’il y en a un, est la longueur, l’excès de développement ; heureux défaut d’ailleurs et que déjà, au moment où j’écris, les auteurs auront sans doute fait disparaître.

Gretna Green ! Quand vous avez lu ce titre sur l’affiche de l’Opéra, vous n’aurez pas manqué d’apercevoir, à travers la fumée de votre cigare, un riant paysage, se terminant à l’horizon par une succession de collines doucement ondulées, puis devant vous la célèbre maison du forgeron, la providence des couples amoureux ; et votre imagination, si paresseuse qu’elle soit, n’aura pas non plus manqué de vous faire assister à une de ces unions originales où le marteau du forgeron remplace les paroles sacramentelles de M. le maire, puis, après le mariage, aux fêtes nuptiales égayées par les sons joyeux de la cornemuse et les danses nationales des jeunes gens et des jeunes filles aux jambes nues, aux bottines diaprées et multicolores.

Eh ! mais, je m’aperçois que ma besogne est déjà à moitié faite. Ce qui me reste à ajouter est bien peu de chose. Le forgeron de Gretna Green a une jolie fille, qui voudrait bien se marier à un joli chasseur. Le jouvenceau n’a malheureusement pour toute fortune que son fusil, ce qui paraît au bonhomme une dot insuffisante. Mais un jour que celui-ci a bu un peu plus que de coutume, les deux amoureux trouvent le moyen, à l’aide d’un déguisement, de luis subtiliser le coup de marteau matrimonial. Une doit, octroyée par un généreux seigneur, arrive à propos pour calmer les fureurs du papa. Et, comme dans Shakespeare, tout est bien qui finit bien.

Ce sujet, ingénieusement développé, sert de texte à une musique élégante, distinguée, pleine de fraîcheur et de coloris, et qui place son auteur, M. Guiraud, parmi les maîtres du genre, à côté et non loin de son professeur, Adolphe Adam.

M. Mérante a remporté un double succès de danseur et de chorégraphe. Les pas qu’il a dessinés pour Mlle Beaugrand sont tous ravissants. Parmi les autres, il faut citer celui du Colin-maillard, un petit chef-d’œuvre d’esprit, de grâce et de gaieté.

Comme comédienne et comme danseuse, Mlle Beaugrand s’est élevée à une hauteur où elle n’avait pas encore atteint. Elle a su trouver cette fois ce je ne sais quoi qui lui manquait jusqu’ici. D’artiste de talent qu’elle était, la voilà maintenant passée étoile.

C’est un vrai charme que Mlle Eugénie Fiocre, sous son double costume de chasseur et d’officier. Quelle grâce mutine, quelle fière désinvolture, quelle adorable créature ! Comme tout dans sa personne et dans ses gestes pétille d’intelligence ! Je défie bien que, dans toute l’Italie, on trouve une mime de cette valeur.

Avec Gretna Green, l’Opéra va retrouver les beaux soirs de Coppelia.

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