Causerie dramatique

Théâtre de l’Opéra : Gretna-Green, ballet en 1 acte, livret de M. Nuitter, musique de M. Guiraud, réglé par M. Mérante

par Charles de La Rounat

dans Le XIXe siècle du 13 mai 1873

Le public des grands jours de la Comédie-Française étant à peu près le même que celui de l’Opéra, je m’étonne qu’on ait osé représenter dans ce dernier établissement un ballet qui étale impudemment sur une large affiche le titre profondément immoral de Gretna-Green.

Le ballet de Gretna-Green a naturellement pour sujet un mariage au forgeron. Rien de plus simple à raconter ; c’est même si simple qu’il est absolument inutile que je vous le raconte. L’ouvrage est bien monté et ne dépare point la maison. C’est médiocre pourtant ; mais c’est un agréable remplissage. Il y a là une scène de colin-maillard très joliment réglée et qui fait honneur à M. Mérante. Mlle Beaugrand a eu beaucoup de succès dans ce petit ouvrage : son talent correct et distingué lui a valu des applaudissements que je lui garantis parfaitement authentiques, la claque ayant eu la sagesse et le bon goût de rester dans la demi-teinte d’où elle ne doit jamais sortir. Mlle Fiocre, on le sait, porte le travesti à ravir : elle est bien charmante avec la courte jupe du petit highlander Williams !

La musique de M. Guiraud est assez ordinaire, bien qu’elle offre quelques jolies parties ; mais en somme elle ne me paraît pas être tout à fait ce qu’il aurait fallu qu’elle fût. Elle est uniforme et sans relief, et le premier mérite d’une partition de ballet est d’être avant tout d’une grande variété mélodique. La science n’y a trop que faire, et Pugni, par exemple, qui n’était pas un aigle, vous bâclait des musiques de ballet très amusantes. Des rythmes bien nets, des motifs nombreux, chantants, vivants, du brio, de l’entrain, voilà tout brutalement ce qu’il faut pour un ballet. Il n’est nul besoin d’aller chercher midi à quatorze heures : il faut écrire cela à la bonne franquette, au courant de la plume, légèrement, facilement, gaîment, et « ne pas se mettre sottement en pourpoint pour ne sauter pas mieux qu’en saye ».

Ce n’est pas pour M. Guiraud que je dis cela : il m’est extrêmement sympathique, bien que je n’aie pas l’honneur de le connaître, et je serai toujours heureux de trouver l’occasion d’applaudir l’auteur des Suites d’orchestre, que le concert Pasdeloup nous a fait connaître et de Madame Turlupin, très charmant ouvrage auquel je n’ai pas marchandé l’éloge.

Mais quoi ! le ballet n’est pas son fait, et qui peut le plus ne peut pas toujours le moins. Il est tout naturel qu’un jeune compositeur auquel un directeur d’Opéra demande une petite partition de ballet accepte la proposition et se mette à l’œuvre ; mais cela ne prouve pas que le directeur n’eût pas mieux fait de lui demander… autre chose.


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Lucia Pasini (13 mai 1873). Causerie dramatique. Les fours noirs. Consulté le 8 juillet 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/uq9o


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